Les années passent, l’enduro change, les machines évoluent, mais TM reste ce constructeur à part qui cultive sa différence sans renier l’obligatoire modernisation de son appareil de production. Voilà ce que l’on peut conclure d’une visite chez le constructeur transalpin qui a décidé récemment d’augmenter sa production, mais sans vendre son âme.
Que de chemin parcouru en 45 ans ! En 1978, Claudio Flenghi et Francesco Battistelli, deux potes passionnés de motos qui s’amusaient à réparer et modifier celles de leurs potes, lançaient la production d’une série de 200 machines de cross et d’enduro. Cela marquait la naissance officielle de TM, les initiales de Thomas et Mirko, les fils respectifs des deux amis. Pour 2023, Roberto Aloi, le nouveau responsable commercial et compétition de la marque italienne, annonce que le constructeur installé à Pesaro, au sud de Misano, va fabriquer entre 3 000 et 3 500 machines ! Soit plus du double de la production de 2020 puisque l’usine sortait alors 1 400 motos par an. Doit-on comprendre que la célèbre marque est en train de renier sa philosophie légendaire : proposer des modèles produits de façon artisanale, avec amour et dévotion, pour céder à l’appât du gain ? C’est ce que nous avons cherché à savoir en visitant les locaux de l’usine transalpine, jusqu’ici célèbre pour sa défense d’une production raisonnée.
Assemblées à la main avec amour, pour le pro et le particulier
On sait à peu près tous ce qui distingue une TM des autres machines d’enduro ou de cross. Sa philosophie. On n’achète pas une Italienne comme on acquiert une KTM, une GASGAS, une Honda ou une Rieju. Rouler TM, c’est un acte engagé. C’est témoigner son attachement à la passion transalpine pour les deux-roues, réaliser un geste partisan pour l’artisanat, pour les motos produites avec le cœur avec des matériaux de qualité pour des performances maximales. Cela signifie quoi, concrètement ? Que chez TM, on ne produit pas selon les standards de rentabilité et de productivité qui peuvent être en vigueur chez les concurrents. Pas mal d’opérations sont assurées à la main. On ne délègue pas trop non plus à des fournisseurs. Ou le moins possible. Quitte à ce que la production reste limitée.
Il fut un temps où le distributeur français nous expliquait que les TM étaient les Ferrari de l’enduro et qu’à ce titre, il fallait tout leur pardonner ! Autre doctrine de la maison, que l’on soit particulier ou champion, on achète la même moto. Car là était le souhait des créateurs de la marque, rejoints en 1982 par Gastone Serafini. Un pilote débauché pour faire briller les machines en compétition qui deviendra le responsable de la production quand Battistelli décidera de vendre ses parts en 1982. Mais justement, qu’en est-il aujourd’hui de cette idéologie ? C’est ce que nous avons tenté de savoir en poussant les portes de l’usine posée sur les bords de l’Adriatique.
Si vous pénétrez dans l’usine TM située à Pesaro, sous Rimini, avec cette philosophie en tête, alors il est probable que vous compreniez de suite l’organisation et l’ambiance particulières qui y règnent encore aujourd’hui, alors que la marque vient d’investir dans l’achat de cinq énormes machines à commande numérique de plusieurs millions d’euros. Des monstres de technologie chargés de produire, selon les derniers standards de qualité, les carters moteur, leurs pièces internes, les différentes parties du cadre, les tés de fourche, l’amortisseur… à des cadences folles. Ici, c’est du 24 heures sur 24. Car ne vous faites pas de fausses idées. Malgré l’augmentation de la production, on ne souhaite pas changer de philoso-phie. On s’en fait même un point d’honneur. Comme hier, 85 % des motos restent produites à l’usine de Pesaro. Ainsi, si vous détaillez un modèle cross, hormis la fourche fournie par KYB, le boîtier électronique, les jantes et les freins, tout est home made. Cela explique qu’une balade dans l’antre de l’usine TM, c’est plus un pèlerinage chez un joaillier capable de transformer de l’alu en or qu’une visite chez un industriel.
Bloqué dans le temps
Ce qui étonne déjà en pénétrant dans les ateliers, c’est leur relative vétusté. On est ici dans les locaux investis en 1976 par les deux hommes pour produire une première série de 200 motos et rien n’a vraiment changé depuis cette époque. Les murs sont en briques, les meubles en formica, le sol en linoléum, les menuiseries en aluminium, c’est bas de plafond, un poil sombre, un peu exigu et on sent que l’aménagement du bâtiment s’est fait au fil des années de façon un peu anarchique. Oubliez l’idée de gros locaux industriels modernes baignés de lumière où tout est scrupuleusement ordonné, selon une organisation méthodique du travail. On le devine, des pièces ont été rajoutées pour suivre le développement de la production, de façon un poil anarchique. Quelques 20 000m2 sont occupés mais on sent le personnel à l’étroit, surtout que le rangement ne semble pas procéder d’une logique industrielle très aboutie… Bref, c’est une grande fourmilière et c’est un peu le bazar. Mais tout ceci donne aux locaux une ambiance des plus chaleureuses, très humaine, très italienne. Ça renifle la passion avec pas mal de posters, de photos ou de plaques numéro accrochés un peu partout.
Mais ce qui étonne le plus, c’est de découvrir que l’assemblage des moteurs est réalisé juste à côté des anciennes machines-outils par des techniciens coincés dans des ateliers individuels. Chacun est dédié à un type de moteur. Ici travaille celui des blocs 125 2T, là, celui des 300 4T… L’intérêt est double. Cela leur évite de perdre du temps à s’adapter aux process de fabrication, différents selon les motorisations, et de galérer pour s’approvisionner en bonnes pièces. Le réassort est assuré en permanence…