Participer à une grande classique de l’enduro en trail ? Est-ce bien raisonnable ? Tom Barrer et Trail Adventure ont relevé le défi aux guidons de deux Suzuki 800DE.
Texte et photos par François Barrois
Notre histoire commence par une boutade dans les allées du salon de Lyon, lorsque Benjamin, attaché de presse de Suzuki France, nous propose de suivre son jeune poulain Tom Barrer dans une de ces nouvelles aventures. Après les bivouacs en Albanie, voilà que l’instructeur-voyageur-YouTubeur s’attaquerait à la compétition ! Attention, pas n’importe laquelle : il s’agit du Trèfle Lozérien – la première des 4 grandes « classiques » de l’enduro français – une épreuve de 3 jours réputée pour son tracé « long et roulant » mais aussi ses nombreuses spéciales cassantes et/ou glissantes, selon la météo du mois de mai. Et comme Tom ne souhaite jamais rien faire comme les autres, il s’y rendra par la route, roulera avec la même moto, les mêmes pneus dédiés aux voyages et bivouaquera sur les spéciales, dans le plus pur esprit trail !
Sur le papier, le plan s’annonce déjà être une belle galère, mais comment ne pas accepter de vivre et suivre cette grande première ensemble ? Rendez-vous est donc pris à la mi-mai, sur le quai de la gare de Narbonne où Tom nous attend, kebab en main ! « Tiens, ça te rappellera l’Albanie ! Prends aussi les clés de ta 800DE, elle vient tout juste d’être livrée, on va la préparer dans la nuit, car il faut qu’on se casse tôt demain matin ! »
Bicylindre et monoplace
6 h, le réveil sonne, et nous voilà déjà partis par les chemins jusqu’à Mende pour nous inscrire à la course. Les kits Bluetooth connectés entre casques, Tom me briefe sur la suite. En gros, il ne sait pas grand-chose, à part qu’il doit remplir ses papiers d’inscription avant 14 h. Je le questionne sur l’enduro, et il me confie n’en avoir jamais fait, ni même trop connaître le format de cette course de 3 jours. L’homme, qui a fait de l’improvisation un art et son métier, n’est pas perturbé pour autant, et nous filons gaiement vers la Lozère en nous réjouissant de la beauté des paysages environnants. 300 km de TET avec une contrainte horaire exigeante, voilà qui met en jambes et impose un bon rythme, mais nous parvenons à maintenir une certaine avance en nous chauffant l’un l’autre… jusqu’à ce que je crève à quelques kilomètres de notre destination. Tom commence déjà à me tester comme un de ses stagiaires :
« Vous, les journalistes, vous ne savez même pas changer un pneu ! » Manque de pot, je crève régulièrement seul dans les chemins. Je répare et remonte donc le tout assez rapidement, mais recommence l’opération une seconde fois après avoir mal collé ma rustine. Ça y est, le stress du chrono s’installe ! Arrivés à Mende, nous nous jetons dans la file des inscriptions. Nous sommes encore dans les temps et un médecin des AMIS (ces médecins motards qui sécurisent les courses d’enduro) nous improvise une visite médicale (nous avions évidemment oublié nos certificats médicaux). « Vous allez faire la course en gros trails ? Il va vous falloir avoir la forme ! Je roule en KTM 790 Rally, mais pour rien au monde je ne la jetterais là-dedans », nous explique le médecin motard.
De quoi déjà faire ricaner Tom, toujours partant pour démontrer que l’impossible est faisable, avec le sourire. Autocollants posés, contrôle technique passé, nous voici maintenant dans le parc fermé. « Mais comment on ressort pour aller camper ? » Si Tom s’imagine déjà dormir sur le parking, je rechigne un peu : “Mec, on est dans l’une des régions les plus sauvages de France, allons nous faire un vrai bivouac !” Je négocie un droit de sortie puisque nous courons sous des numéros hors classement et cherche un spot. Il devrait y avoir de la place au-dessus de la ville, où a lieu l’habituelle spéciale de la Vabre ! Comme de nombreux plans improvisés, cela foire joyeusement, puisque l’agent de sécurité nous conseille d’aller nous endormir plus loin. Il est déjà 1 h du matin, la tente n’est pas montée, et nous devons prendre le départ avant 8 h 30 pour espérer avoir quelques photos de l’organisation… ce qui (spoiler alerte) n’arrivera pas non plus.
Gare et garde au sol
C’est donc les yeux collés pour moi et injectés de sang pour Tom que nous entamons la première journée. Habituellement, les pilotes partent par groupe de 4 chaque minute, en fonction de leurs numéros. Mais les 4 trails inscrits sur les 600 participants sont en numéro hors classement « 900 ». Ce qui veut dire que nous pouvons partir quand bon nous semble. Deux rampes de bois sont placées sur les escaliers de la place de la ville, pour descendre nos motos vers le départ. Tom descend tout en souplesse sur sa moto rehaussée, tandis que mon modèle 100 % d’origine frotte le sabot illico et arrive en travers derrière le speaker qui vient de se prendre un sacré vent par Tom, parti comme une balle ! « Hey mec, le vrai départ c’est sur les spéciales, là on est en liaison, on a juste à suivre les flèches de la bonne couleur ! » lui expliquai-je dans le casque.
Je vous l’avoue, je fais un peu le malin sur ces premiers kilomètres : la raison ? J’ai déjà participé à cette course pour mon premier enduro avec la star locale (et mondiale) Laurent Pidoux, qui m’a donc donné toutes les ficelles. Dans le casque, je transmets donc à Tom des conseils du genre « rester assis au max, car cela permet de se préserver pour les spéciales, sur 3 jours ça fait la différence ». Mais vous connaissez maintenant Tom, il n’a pas franchement besoin de mes petits conseils. Le jeune prodige file à fond dans les chemins de plus en plus étroits, ses valises frottant contre les arbres. Arrivé à la première spéciale, Tom sort le compresseur : « Allez, j’en enlève un peu pour gagner encore en adhérence ! » Alors que les trois quarts des enduristes roulent en bib pour éviter la crevaison, Tom veut la jouer trailiste à fond, quitte à réparer crevaison sur crevaison. Il roule d’ailleurs en Pirelli Scorpion Rally, un pneu bien moins agressif que ce que les enduristes utilisent aujourd’hui. Le voici pourtant parti le couteau entre les dents sur la spéciale avec l’espoir de dépasser un max d’enduristes… Ce qu’il fera dans le viseur de mon appareil. C’est maintenant à mon tour.
Malgré ses conseils, je ne dégonfle pas pour ne pas perdre de temps. Je réalise mon erreur instantanément en glissant allègrement sur l’herbe encore fraîche dans les dévers de cette prairie transformée en circuit. Le poids de la moto m’embarque, le pneu avant glisse et j’ai bien du mal à me motiver à mettre du grand gaz par peur de me retrouver à terre dès la première spéciale. Pour info, il y en a près de 5 par jour, alors mollo !
Nous enchaînons avec le roulage, et commençons à mettre du rythme entre les spéciales. Rapidement, nous identifions un problème : dès que la mono-trace se réduit, la moto préparée et rehaussée de Tom file, tandis que la mienne frotte de tous les côtés. Même constat dans le roulant. Passé un certain rythme, mes suspensions d’origine talonnent et rendent la moto difficile à contrôler, tandis que les suspensions préparées de Tom lui permettent de survoler la piste. Du coup, je peste et râle dans l’intercom : « J’suis désolé Tom, mais j’arrive pas à te suivre ». Me voilà donc transformé officiellement en boulet, bien malgré moi.
Les spéciales s’enchaînent et le compétiteur qu’est Tom prend de plus en plus de plaisir, cherchant à améliorer sa traction en jouant sur la pression et se félicitant à chaque dépassement d’enduriste. Pendant ce temps sur les réseaux, certains nous moquent « tiens ils autorisent les pachydermes sur la course cette année ? » Peu nous importe, nous continuons sous les applaudissements du public sur place qui nous encouragent à nous dépasser avec nos grosses motos ! Un peu de soutien, voilà qui fait le plus grand bien au moral, même si les chronos de Tom comme les miens sont bien loin des stars de la discipline, à plus de 4 minutes d’écart en moyenne.
Pour nous consoler, après la spéciale de midi, nous nous préparons une petite fondue lyophilisée au réchaud sortie des valises ! Tu peux faire ça, Josep Garcia (champion du monde actuel dans la catégorie Reine E2) ? Nous éviterons ensuite toute sorte de ravitaillement, en comptant sur nos réservoirs de 20 litres pour finir chaque journée… Arrivés sur la dernière spéciale parmi les derniers, nous négocions cette fois notre emplacement de camping sur les hauteurs du village, devant des enduristes stupéfaits, à raison. La nuit sera pourtant courte et peu réparatrice, puisque les gouttes de pluie contre la toile de nos tentes rythmeront nos nuits, entre autres ronflements dus à la fatigue.
Bivouac spécial
Nous repartons au petit matin dans la roue de Johnny Aubert, multiple champion du monde d’enduro, pilote du Dakar et ambassadeur KTM en 890 Adventure R. Malgré l’aisance insolente qu’il partage avec l’ambassadeur Ducati Antoine Méo, pour lui, piloter un trail sur ce type de parcours reste un challenge à part. Et il a bien conscience qu’il est là avant tout pour faire de l’image, plus que de conseiller aux gens de le suivre. Pour ces occasions, sa moto est d’ailleurs équipée de suspensions préparées, de jantes étroites renforcées, de pneus enduro et de bib mousse. Dans ces conditions boueuses, la seconde journée s’annonce encore plus difficile pour nous tous, et si Tom persiste à trouver l’instant magique avec sa moto préparée dans les passages techniques, les pneus de la mienne sont rapidement déchirés, et les commandes de ma 800DE d’origine sont à l’agonie, à force de percuter les pierres et de s’enrouler autour des repose-pieds. Pour moi, le plaisir n’est malheureusement plus là, d’autant plus qu’une autre journée m’attend à midi avec 600 km d’autoroute pour rentrer à Paris et enchaîner sur d’autres reportages.