« Départ de la rando vendredi matin à 6h30 sur les motos moteur en marche, je sais, je suis un psychopathe de la montre, mais ça ne peut marcher que comme ça… »
Voilà, textuellement, l’avant-dernier paragraphe envoyé par le concessionnaire Yamaha de Menton, Philippe Mammone, initiateur d’une rando aller-retour Menton-Vars. Du bord de mer jusqu’à 3 000 mètres d’altitude, en trois jours. Sur soi, « seul impératif, un gobelet et un couteau ».
Accueil des pilotes au magasin avant 20h00 impérativement, heure du repas, nous sommes 30 au restaurant, vous comprendrez qu’il faut être à l’heure. Je pourrais vous éditer l’ensemble du programme tellement c’est un modèle du genre, un PDF de 9 pages ponctué de photos des paysages pris en reco, des hébergements, d’astérisques, de chapitres, de paragraphes, de caractères en gras, soulignés, en rouge… et en vert, gras et souligné lorsqu’il est question de budget pour préciser que tout le monde participe pour “Rodo qui est notre invité”. Bien entendu, comme d’habitude, la sortie est entièrement GRATUITE. » Entendez par là que notre hôte ne fait aucun business de ce rendez-vous annuel où tout est compris, jusqu’à l’essence.
Fallait pas l’inviter
Un simple coup de fil d’un camarade, un certain Ludo de Sainte-Maxime (les happy few le reconnaîtront) avait suffi pour m’enrôler. En substance, il me proposait un plan rando organisé par un concessionnaire local, un plan hors-norme, réservé à ses clients et amis. Et aussi aux amis d’amis car Ludo est du genre à colporter les bonnes nouvelles ! Au Trèfle où il roule avec le clan Meo, Antoine en avait déjà fait les frais. Fin août, devant la concession Motos Joly datant de 1954, rebelote, nous sommes une trentaine au lieu de la vingtaine habituelle ! Ludo a encore frappé. « Fallait pas l’inviter » pourrait être le slogan qui lui va. Un mec en or, un forban, un animateur de première dont le cri de guerre, qu’il murmure inlassablement depuis des années comme un mantra, est : « A tout moment, ça peut déraper ». Sûrement un reste de son époque supermotard…
Pack de bienvenue
A Enduro Mag, on l’invite souvent. Aux dernières “Election de l’enduro de l’année”, il s’est fait remarquer en réveillant un chalet entier à 3 heures du mat’ en démarrant la Sherco 300 4T en lice pour la victoire, moteur froid, direct au rupteur à un mètre de la tête d’un “ami”. Jordan Curvalle de la marque nîmoise avait apprécié les talents de notre Ludo, préparateur de motos, un comble ! L’an passé, il n’avait pas résisté à faire un tour de la spéciale de nuit au volant d’une BMW Serie 7 blanche prêtée par un pote… Bilan ? Vous vous en doutez, non ? A la carrosserie le lundi.
19h30, veille du départ, on est tous dans le magasin. Le maître des lieux nous accueille avec Florence et Bruno, El Torito. Le petit Mammone officie en championnat de France avec la Sherco Academy. L’équipe nous remet un pack de bienvenue, comme sur une Classique. Dans le sac jaune de l’Huilerie Saint-Michel, une fiole d’huile d’olive au citron de Menton et une feuille plastifiée avec tous les contacts des ouvreurs, fermeurs et assistance, plus les points GPS des spots de ralliement. La classe. Je ne vois pas trop de Sherco dans le bouclard, ni tellement de clients parmi mes collègues du jour…
Un plan hors normes, réservé aux clients et amis
L’idée que je me faisais de cette virée, c’était celle d’un concess’ qui, pour fédérer ses clients, organisait une fois par an un tour de prérentrée. Philippe m’apprend que l’off-road n’est pas vraiment pratiqué dans le coin, que sur les quatre Sherco qu’il a vendues cette année, trois étaient destinées à son fils et l’autre, à un autre Ludo, un des participants ! Son magasin tourne au scooter et à la route. En fait, il s’agit d’un plan purement entre amis. Six Normands ont fait le déplacement, rencontrés en Corse sur la Rando Ipone pour les concessionnaires Yamaha.
Guillaume de Flash 76 et quelques Raides Boules sont là pour la première fois. Moi qui pensais mettre en avant une initiative de revendeur pour montrer comme il était bon de dynamiser son réseau client, me voilà le bec dans l’eau. Mais je ne vais pas être déçu, je le sais déjà, et tous les revendeurs de France devraient s’inspirer de cette belle initiative.
6h30 devant le magasin, il manque Molasson, Thierry Moisson à la ville, ex-hard enduriste, vainqueur du Shark Xtrem avec Esquirol, remember ? Il a toujours sa tenue Kenny et son Shark découpé en jet de l’époque et m’avoue ne plus rouler du tout. Voyez quand même le client quand il s’agit de grimper des montagnes. Pour l’heure, tout le monde est frais après le dîner sur le front de mer de la veille où l’on s’est rendu en petit train à touristes, privatisé pour l’occasion. Tous, sauf Ludo et Tristan, son double, qui ont fait des tours de Seabob de nuit autour du bateau d’un pote mouillé vers Monaco, fallait s’en douter.
Mammone Race
Nous sommes divisés en trois groupes pour ne pas affoler les populations de si bonne heure et pour se faire plus discrets sur… le chemin des douaniers ! Autorisation exceptionnelle en bonne et due forme, les trois cohortes glissent le long de la mer au lever du jour jusqu’à une plage où l’assistance nous attend avec les croissants. Philippe observe et constate : « Il y en a six qui ont accéléré sur la plage. Ils se croient au Touquet. » Vous avez deviné que les Normands en 450 Yamaha se sont illustrés. Le boss d’ajouter : « Sauf qu’ici, les galets, c’est plus gros quand ça frappe le masque ». A 9h20, on est déjà à 1600m au Col de Turini et les Normands ont pris leur position : derrière. Les lacets en pied anglais, ça ne se pratique pas trop dans le bocage, forcément !
« En file indienne, on descend la magnifique piste vers Jauziers »
Dix minutes plus tard, Philippe nous stoppe et exige que les 4T se mettent dans l’ornière de droite, les 2T dans celle de gauche. Plus loin, il immobilise les colonnes, tandis que Bruno ouvre un bloc de béton et extirpe un sac plastique qu’il tient soigneusement à plat. Philippe tire sur une corde et remonte un fût Ipone de carburant. « Je l’ai déposé hier soir. » Ravitaillement plus pause charcuterie et coup de blanc. Du savoir-vivre en un mot. 06, 05, 04, je ne vais pas vous faire le déroulé total du road-book de la rando que seul Philippe a dans la tête, mais on est déjà en montagne, entre pistes détrempées par l’orage de la veille en montée et sentiers en épingle en descente.
A la queue-leu-leu
Les trois groupes se sont réunis. Une expérience inédite que de rouler roue dans roue à une trentaine. Un petit côté bouchon sur une Classique, sauf que là, ça dure trois jours ! Le moindre plantage devant et c’est la difficulté multipliée par deux pour toute la colonne derrière qui doit repartir à zéro. Derrière Philippe, la Mammone Race s’organise. La bande à Ludo est aux avant-postes, la moindre erreur ou porte ouverte et c’est l’intérieur. Et ce qui devait arriver… arrivera, mais pas comme prévu.
Pour l’heure, on déboule à Valdeblore, station connue où un traiteur a dressé 15 mètres de tentes et préparé une paella avec gambas. Le ton est donné et ça va durer trois jours ! On trinque comme la veille au soir à la santé de Philippe et son équipe, la moindre des choses. On prend un orage de montagne qui reviendra chaque après-midi suivante effacer la poussière et graisser les pierres. A Isola 2000, alors que l’on montait vers une nuit où avaient été exigés duvet et couverture de survie, Ludo va à terre sur le bitume. Méchamment.
Marmottes et Mercantour
Coup de guidon dans les côtes, souffle coupé, il nous fait flipper. Dans la meute, il n’a pas vu un poteau en bois vertical gros comme une cuisse. Sélecteur de Sherco tordu et radiateur percé, il s’en sort plus que bien. Greg, commercial Sherco invité par ledit Ludo, se charge de la patte bicomposant pour reboucher le radiateur et démonte le sélecteur. On charge la Sherco qui était neuve et Ludo dans le fourgon. DNF, c’est sûr. Plan B aussi pour Philippe devant la météo.
On monte sur les hauteurs de Saint-Etienne-de-Tinée chez Sébastien, un des participants qui nous demande juste de ne pas accélérer sur l’herbe de ce qui est « notre coin de paradis à mes parents et moi ». On est sous le Col d’Anelle, à 1 500 m avec une vue à 360° devant ce qu’ils appellent une grange dans le coin. Pas d’eau hormis celle du puits, pas l’électricité outre la batterie rechargée par le petit panneau solaire. On dessape Ludo, Philippe découpe une tomme et du saucisson, Tristan allume le poële et Pascal à l’assistance sort le réchaud à gaz dehors et lance la polenta après avoir installé l’apéro face aux sommets rougis par le coucher de soleil. Carte postale.
Un homme à terre
La nuit en collectivité s’annonce épique. On se change tel quel, certains montent les tentes, d’autres cherchent des points d’ancrage pour les hamacs, l’option à même le plancher dans le dortoir est la plus prisée. Soirée dantesque qui se terminera avec Philippe en forgeron redressant le sélecteur sur le réchaud et à la pierre, refroidi au rouge, blanc et jus de ragoût de sanglier qui accompagnait la polenta. Greg fait remarquer la belle conception de la pièce française qui n’a pas cassé et qui est revenue en place. Dis, tu serais pas commercial pour Didier Valade, toi ?!!
Ciao Ludo. Direction la maison et l’hosto pour des radios. A 9h30, avec une heure de retard sur le planning, on redécolle. Cinquante mètres plus loin, à jeun, une marche sur le domaine de Séb’ immobilise déjà toute la caravane pour un échauffement musculaire en règle. A Saint-Dalmas-le-Selvage, nous sommes aux portes du Parc du Mercantour.
L’assistance nous attend à l’embranchement du goudron et d’une piste avec un minestrone, une soupe italienne, en guise de petit-déj’ sous le panneau “Chemin non carrossable”. Petit cours d’éducation civique pour vous rappeler qu’un chemin non carrossable peut très bien être ouvert à la circulation. C’est ici le cas. Un garde du Parc vient nous inspecter. RAS, il sait que nous sommes entrés par la route de façon respectueuse. Les marmottes qui sont toutes des pookies l’ont prévenu !
Classique à trailistes
En file indienne sur le filet, on descend la magnifique piste vers Jausiers, un itinéraire mythique pour les trailistes, on en croise d’ailleurs bien une dizaine. De là, c’est parti pour une boucle jusqu’à la station de ski de Vars, pique-nique au Col de Vars où nous attendent des bourriches d’huîtres et du vin blanc, une tradition depuis la rando de l’an passé. Après une pointe à près de 3 000 m, on bascule sur Crévoux pour rejoindre la célèbre piste militaire du Parpaillon, là encore un lieu de pèlerinage des trailistes, à plus de 2 600 m… sous l’orage du jour. Les 500 mètres de convoi dans le noir nous refont passer des Hautes- Alpes aux Alpes de Haute-Provence. En bas, direction le Château de Jausiers pour une douche bien méritée et attendue. Piscine, jacuzzi, hammam, dîner au rez-de-chaussée, le grand confort !
« Des bourriches d’huîtres et du vin blanc nous attendent au col de Vars »
« Dimanche matin, nous ferons pas mal de route, ce qui nous permettra de rejoindre la vallée de la Vésubie et de nous débarrasser de la côte au plus vite, pour faire des chemins sympas et ne pas arriver trop tard » disait le programme. Mais la route, ici, c’est comme un reportage animalier au cinéma. On emprunte le Col de la Bonette, le plus haut d’Europe. Encore un classique à trailistes.
Une pause s’impose
On se fait comme eux la pause à 2 800 m avant de redescendre en colonne pour une autre piste du Parc. Le traiteur s’impatiente… Philippe n’aurait pas dû proposer la variante un peu technique empruntée par la majorité. « On se traîne l’heure perdue de Ludo » plaisante Philippe sous les tentes du traiteur à 15 heures pour le barbecue final en pleine nature. La pluie dégringole une dernière fois juste alors que l’on est abrités, comme à l’aller !
Les Yam des Vikings embrasseront encore quelques pierres dans les lacets finaux, surtout celle toute noire d’un druide local de là-haut que l’on ne citera pas. Va leur falloir attendre un an avant de regoûter au dénivelé du Sud. Car, c’est sûr, ils reviendront. « Bruno, va falloir que tu prennes la relève. Il va pas faire ça toute sa vie ton père ! » lance un des participants au Torito qui, pour la saison prochaine, va se concentrer sur les Extrêmes.
Un gage de continuité de ce tour non mercantile par le Mercantour qui prouve qu’en France, on peut encore rouler dans des décors de rêve légalement, pour peu que l’on se donne beaucoup de mal comme le fait Philippe depuis plus d’une décennie. La première édition, ils étaient une poignée et n’avaient pas fait plus de 12 kilomètres. La Mammone ne s’est pas construite en un jour…