Graham Jarvis connnait bien cette course de l’Erzbergrodeo qui aura lieu ce week-end en Autriche, fort de ses cinq victoires sur le « Géant de fer », comme elle est surnommée, puisqu’elle a lieu dans une mine d’extraction de fer, justement. Le vieux lion anglais est en quète d’une sixième victoire historique. En attendant, voici ses reflexions sur cette course mythique dans le domaine de l’extrême.
L’Erzberg est une course difficile et exigeante physiquement. Quels sont les secrets pour survivre, apprécier et surtout gagner l’Erzberodeo ?
Graham Jarvis : « C’est une course unique en son genre, qui ne ressemble à aucune autre. Elle est beaucoup plus courte que ce que la plupart des gens imaginent, et vraiment intense. Pour moi, le physique est la clé du succès. La course propose un peu de tout, mais ce sont les sections techniques, comme Carl’s Dinner, qui exigent les compétences techniques, la capacité à choisir les meilleures trajectoires et c’est bien évidemment là que mon expérience entre en jeu. Pour terminer et essayer de gagner, tout doit être en place ce jour-là. Pas le droit à l’erreur. »
Comment te prépares-tu pour une course aussi difficile ?
Graham Jarvis : « Je ne change pas beaucoup mon entraînement pour l’Erzberg. Arrivé en juin, j’ai normalement déjà fait beaucoup de courses et beaucoup roulé, donc en général, ma forme physique est aupoint. Cette année, c’est un peu différent car j’ai eu beaucoup de temps libre l’an passé, mais ce que je fais, c’est que j’intensifie un peu mon entraînement à l’approche de l’Erzberg. »
Revenons à ta toute première victoire en 2013. Quel est ton plus grand souvenir de cette première ?
Graham Jarvis : « C’était en 2013, après quelques disqualifications ! Les choses se sont vraiment passées comme je le voulais cette année-là. J’ai eu de la chance au départ et les choses se sont bien enchainées. Évidemment, avec ce qui était arrivé les années précédentes, je me souviens que j’étais un peu stressé sur le fait de m’assurer de rester en permanence sur la bonne piste et de ne pas faire d’erreurs bêtes qui m’auraient empêché de gagner. Ça a été un vrai soulagement de finalement gagner. Quand tu as travaillé dur, fait une bonne course, t’es vu refuser une victoire, pour finalement obtenir le résultat escompté, le résultat que tu sais que tu mérites, c’est un sentiment incroyable. »
Sans quelques mésaventures, tu serais déjà le pilote de l’Erzberg le plus titré de tous les temps, avec peut-être six ou sept victoires à ton actif. Qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu repenses aux victoires qui t’ont échappé ?
Graham Jarvis : « Même maintenant, je ne sais toujours pas ce que j’ai mal fait, enfin, pas vraiment. Une année, ok, c’était peut-être ma faute. Mais l’une des autres fois où j’ai été disqualifié, je n’ai aucune idée de ce que j’ai fait de mal. A ce moment-là, j’étais vraiment écœuré, mais ce sont des choses qui arrivent et je ne pense trop pas à ça en ce moment. Même si je n’ai pas gagné ces années-là, j’ai prouvé que j’en étais capable et que j’avais ce qu’il faut pour ça. C’est ce qui m’a poussé à retourner à l’Erzberg. Et finalement le gagner, puis à décrocher plus de victoires, c’est assez spécial. »
On dit que vieillir c’est gagner en sagesse, quel est l’avantage d’être aussi expérimenté que toi pour remporter le Géant de fer ? Et quel est ton plus gros avantage sur tes rivaux plus jeunes ?
Graham Jarvis : « Je pense qu’avoir quelques années de plus aide très certainement. Pour moi, le principal est de ne pas être trop enervé, garder le contrôle de ses émotions. Evidemment, je sais plus ou moins à quoi m’attendre, mais j’ai appris qu’on peut faire des erreurs et c’est la façon de réagir, de les gérer, qui importe le plus. Je ne pense pas qu’il existe un seul pilote qui ait fait une course parfaite jusqu’à l’arrivée de l’Erzberg, donc être capable de gérer ce que la course te réserve est essentiel. Garder son calme au départ n’est pas facile, mais être capable de se concentrer sur les bonnes trajectoires dès le début de la course, c’est une chose que mon expérience et mon âge me permettent de faire. »
La piste, l’atmosphère, la pression de la performance, l’Erzberg est unique en de très nombreux aspects. Qu’est-ce que tu aimes le plus dans cette course ?
Graham Jarvis : « C’est la plus grosse course de l’année, la pression est donc énorme. Tout le monde est là, c’est retransmis en direct à la télé, et gagner l’Erzberg, c’est vraiment quelque chose. Il n’y a pas beaucoup de courses où des hélicoptères passent au-dessus de nos têtes pendant toute la course, et c’est donc une atmosphère unique le jour J. Le lieu, aussi, te rappelle sans cesse où tu te trouves. La montagne est tellement haute et unique en son genre, tout est réuni pour créer une atmosphère vraiment cool et unique. On peut facilement se laisser emporter par tout ça, donc il est super important de rester calme. »
Est-ce que tu penses que les gens se concentrent trop sur ça ?
Graham Jarvis : « Je pense que l’âge intéresse davantage les autres que moi. Je ne peux pas changer mon âge, donc je continue simplement à faire ce que j’aime, rouler et piloter. Je pense qu’être plus âgé a ses avantages et ses inconvénients. J’ai beaucoup d’expérience, et j’arrive peut-être plus facilement à me concentrer sur ce que je dois faire. Mais je mets aussi plus longtemps à me remettre d’une blessure. J’ai un immense respect pour tous les gars contre qui je roule, je sais qu’ils travaillent aussi dur que moi pour être au top. J’aime me battre contre eux et je suis fier d’être encore capable de me mesurer à eux et d’essayer de montrer que l’âge n’est pas le plus important ! »
Est-ce que ça te surprend que pendant si longtemps ils n’aient pas réussi à prendre le dessus sur toi dans des courses aussi importantes que l’Erzberg ? Ou est-il simplement vrai que l’expérience est une chose vraiment importante ?
Graham Jarvis : « Bien sûr, l’expérience est super importante, mais je pense que les jeunes trialistes peuvent s’adapter rapidement à l’extrême. Ce qui est super dans notre sport, c’est que tu n’as pas besoin d’être un adolescent pour réussir. Même s’il y a des pilotes plus jeunes qui réussissent et commencent à gagner, il n’y a pas d’âge pour te lancer dans l’extrême. Il faut évidemment quelques années pour avoir l’expérience nécessaire pour y arriver, mais si tu as la technique et que tu veux bien faire, avec un peu de temps, tu peux devenir un très bon pilote de Hard Enduro. »
L’Erzberg a changé au fil des ans. Aujourd’hui, c’est un sprint de bout en bout, ce qui ne correspond généralement pas à ta philosophie. Comment se fait-il alors que tu sois encore en course pour la victoire ?
Graham Jarvis : « C’est une sorte de sprint, mais suffisamment long pour que l’endurance ait son importance. Je pense que la course a évolué tout comme les motos, les pneus et les pilotes. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment un sprint, mais comparé aux courses plus longues sur plusieurs jours, on peut le voir comme ça. Quand j’ai commencé, c’était aussi difficile que ça l’est aujourd’hui, mais les motos n’étaient pas aussi performantes. Et comme l’Erzberg est une mine en exploitation, il y a toujours quelque chose de nouveau, en particulier dans les portions inférieures de la piste. En haut, ce sont toujours les mêmes. »
Carl’s Diner – l’une des portions les plus emblématiques de l’Erzberg, est l’endroit où tu as souvent dépassé tes adversaires. En sachant que tu es bien plus rapide sur cette partie, est-ce ça te donne une grande confiance de savoir que cet endroit tournera très certainement à ton avantage ?
Graham Jarvis : « C’est toujours une portion vraiment importante de la piste, l’un des endroits emblématiques, où j’excelle en général. Il change tous les ans, parfois il est plus long, parfois nous partons et nous arrivons à des endroits différents, mais en règle générale, c’est endroit où tu peux gagner ou perdre beaucoup de temps. Carl’s Dinner se trouve dans la dernière partie, donc le temps qu’on y arrive il s’est normalement passé pas mal de choses. Je n’ai jamais vraiment prévu de gagner du temps à cet endroit, mais c’est ce qui s’est passé à plusieurs occasions. Ne pas faire d’erreurs et continuer à rouler est vraiment important. Je pense que certains pilotes se donnent trop physiquement et sont juste trop fatigués. Tu dois vraiment travailler avec ta moto là-bas. »
Nul n’est mieux placé pour donner des conseils sur l’Erzberg, donc, selon toi, quels sont les trois choses indispensables pour gagner au Géant de fer ?
Graham Jarvis : »Les qualifications sont importantes. J’ai déjà fait une bonne course en partant de la seconde ligne, mais ça complique les choses. Je ne suis pas le pilote le plus rapide mais m’élancer de la première ligne est toujours mon objectif. Un départ propre, survivre au départ, est super important. C’est simple, plus tu perds de temps au départ, plus tu devras en rattraper après pendant la course. C’est pourquoi il est important de partir sur la première ligne. Après le départ, il faut prendre son temps, de ne pas presser les choses ou y aller trop fort. Laisser la course venir à toi en choisissant les bonnes trajectoires. Il peut se passer beaucoup de choses, donc rien n’est jamais joué avant la ligne d’arrivée. »
Dans 10 ans, voire plus, après avoir raccroché, quel sera l’héritage laissé par Graham Jarvis, selon toi ? Comment penses-tu qu’on se souviendra de toi en tant que pilote de Hard Enduro ?
Graham Jarvis : « Si on se rappelle simplement de moi, je serai content. J’espère que ce sera pour les bonnes raisons, comme quelqu’un qui a aidé à faire progresser la discipline et qui a gagné quelques courses au cours de sa carrière. Ou peut-être qu’on se souviendra seulement de moi comme du type qui a sauté d’un abri de jardin sur sa moto pendant le confinement ! »