Nouveau venu dans le monde du rallye, le jeune Américain Mason Klein, qui évolue au sein du team privé BAS World KTM Racing, a explosé à la face du monde lors du dernier Dakar, avant de confirmer avec une nouvelle victoire en Rally2 en Championnat du monde à Abu Dhabi. Inspiré par ses prédécesseurs Ricky Brabec et surtout Skyle Howes, son mentor, il représente la nouvelle génération de rallymen made in USA.
« J’ai tout appris tout seul, à peu près »
Tout d’abord, peux-tu nous parler un peu de ton passé de pilote ? Que faisais-tu avant d’arriver sur la scène mondiale du rallye raid ?
J’ai commencé vers 2012 par des courses de style GP, qui sont en quelque sorte des courses mi off-road et mi-désert, des épreuves Hare and Hound (des courses sans GPS, de 60 à 200km dans le désert où sont placés des points de passage obligés). et quelques WORCS. On était juste mon frère, mon père et moi. C’était un bon début. Après cela, nous avons participé à des courses comparables à ce que vous appelez des Bajas en Europe. C’est comme ça que ça a commencé, en suivant un ruban dans le désert. Mon jeune frère et moi nous entraînons ensemble. Je fais tous ses entraînements, il fait tous mes entraînements de rallye et cela nous aide beaucoup.
A quand remonte ton premier vrai rallye ?
C’était le Sonora 2020, au Mexique. Une course super sympa pour moi. J’ai eu un gros problème mécanique le premier jour, ce qui m’a écarté du général, mais après cela, j’ai eu de très bons résultats derrière Ricky (Brabec) et Skyler (Howes), et cela m’a donné confiance.
Tu passes beaucoup de temps à t’entraîner avec Skyler, l’officiel HVA. C’est une source d’inspiration pour toi ?
Oui, je m’entraîne très souvent avec lui et ça fonctionne très bien pour moi, comme pour lui. Du moins je l’espère! Nous faisons nos propres road-books et quand on sort avec les motos de rallye, on a un plan. On est vraiment là pour faire le boulot. On s’amuse aussi, ensuite, mais c’est agréable de connaître et de travailler avec quelqu’un d’un tel niveau, qui a les mêmes objectifs.
« J’ai bricolé mon premier support de road-book avec du carton »
C’est facile de s’entraîner aux USA ?
En Amérique, il n’y a pas beaucoup de gens qui font des road-books pour le rallye. J’ai donc commencé tout seul avec un programme de navigation pour le rallye. Vers 2019, je faisais mes propres road- books avant même d’avoir un dérouleur, j’ai tout appris tout seul, à peu près.
Comment ça t’es venu, ce goût du road-book ?
J’ai fait un KTM Adventure Rally avec une boîte appelée Moto Minded, et ils avaient deux motos avec les supports de road-book. Rien que de les voir, j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire. J’ai participé à ce rallye juste pour voir, parce que j’en avais marre de faire toujours la même chose, de suivre les flèches et tout le reste. Je voulais rester plus longtemps sur la moto, je savais que c’était mon truc. Quand j’ai vu les motos avec les road-books, j’ai compris que le rallye était le sport de mes rêves.
Avais-tu déjà roulé avec un road-book avant cela ?
Non, jamais. C’était incroyable pour moi, ce moment-là. Après cela, j’ai dû prouver à mon père que j’étais vraiment motivé. J’ai fabriqué mon premier support de road-book avec une boîte en carton, des crayons et des élastiques. J’ai emmené mon frère et mon père faire un tour dans les montagnes près de chez nous et ils ont été surpris que nous soyons capables de passer partout avec l’attirail que j’avais installé sur le guidon. A partir de là, mon père a accepté d’investir un peu plus sur moi, en m’achetant une vraie tour de navigation, et c’est comme ça que l’histoire a commencé.
Au quotidien, comment t’entraînes-tu à la maison ? Que faites-vous réellement avec Skyler Howes ?
L’entraînement pour le rallye est compliqué, différent des autres sports tout-terrain, disons. Il faut être bon pilote, mais aussi être très réfléchi sur la moto. Mon frère et moi nous entraînons beaucoup ensemble à la salle de sport, au moins trois fois par semaine, mais généralement presque tous les jours. Nous nous concentrons sur la force quand on fait de la salle. De sorte que lorsque l’on monte sur la moto, on n’a qu’à se concentrer sur l’endurance, la vitesse et le pilotage.
On essaye de maximiser notre temps sur la moto parce que c’est certainement le meilleur entraînement pour la course, passer du temps en selle. C’est pour ça que ça marche aussi bien avec Skyler. Il a aussi une moto de rallye et on peut se faire de longues journées de dix heures dans l’Utah, en Californie comme à Glamis, ou même au Mexique. Quand on part rouler, on essaye de le faire jusqu’à ce que nos cerveaux soient fatigués. La distance parcourue n’a pas vraiment d’importance, mais il est important de rouler longtemps. Parfois, on se fait une séance d’entraînement avant de partir, ce qui veut dire que nous sommes déjà fatigués physiquement et mentalement avant de commencer. C’est très important en rallye. Au Dakar, on est sur la moto pendant très longtemps et si tu n’es pas habitué à ce côté physique et mental, tu auras mal.
Tu as réalisé un excellent Dakar. Quand tu as commencé à accumuler les bons résultats, ça t’a semblé surréaliste ou juste le résultat de ton travail ?
Le jour où j’avais un plan pour faire vraiment bien, le résultat n’a pas été au rendez-vous! Ma meilleure course, c’est quand j’ai simplement pris du plaisir, en traitant la course comme une rando. Lorsque je quitte la ligne de départ, je ne mets pas les gaz en grand, j’essaie juste de partir en douceur et de me concentrer sur moi-même. L’une des choses les plus difficiles, c’est quand tu doubles quelqu’un. Ensuite, tu ressens une pression pour aller plus vite que lui, alors que tu dois faire ton propre truc. Lors de la deuxième étape, j’ai perdu quelque chose comme 40 minutes. J’ai appris une dure leçon sur la confiance en soi. Je suis parti 5e et je suis arrivé à un endroit où il n’y avait que deux pistes devant moi. J’ai regardé derrière, il y avait un autre pilote. Je me suis dit : « Il n’y a aucun risque pour que ce pilote d’usine de haut niveau se trompe ». Mais nous avons eu tort tous les deux ! Ça a été une leçon difficile. La solution n’est pas de suivre les autres, parce qu’ils peuvent se tromper. Et si tu suis, la meilleure compétence à avoir est d’être le premier à savoir quand et si tu vas dans la mauvaise direction. Tu dois toujours rester concentré, savoir où tu en es de ta navigation, quoi qu’il arrive.
Tu ne t’es pas pincé parfois, en roulant aux côtés de certaines légendes et vainqueurs du Dakar ?
Si, bien sûr. L’une de mes expériences préférées a été de rouler aux côtés de Sam (Sunderland) et Matthias (Walkner), et aussi de Skyler, bien sûr. On oublie presque que l’on roule soi-même et on finit par les regarder rouler. C’est une expérience incroyable de se retrouver avec ces gars dans le désert et les dunes, il est difficile de se concentrer sur soi- même. J’essaie d’en tirer des leçons. Je me suis retrouvé aux côtés de Toby Price presque tous les jours de la deuxième semaine du Dakar. Sa façon de piloter est si simple, c’était incroyable à regarder.
Que retires-tu de cette course avec ces pilotes ?
Le plus important, c’est que rien ne remplace l’expérience. Je me suis retrouvé dans de nombreuses situations où je ne savais pas quoi faire. Par exemple, quand je suis perdu, je tourne en rond, j’attends trop longtemps, pendant que ces gars-là continuent à rouler à fond jusqu’à trouver. Tu dois le faire si tu veux avancer !
Est-il vraiment difficile de rouler à leur rythme, ou au rythme nécessaire pour réaliser les meilleurs temps d’une étape ?
Même si nous dépassons les 150 km/h à certains moments de la journée, le rythme n’est pas aussi important que ta propre capacité à lire le road- book. Peu importe la vitesse à laquelle tu vas, si tu prends le mauvais chemin, tu vas moins vite que l’autre. Je pense que ça a été l’une de mes forces: je ne me suis pas concentré sur la vitesse mais plutôt sur la navigation, en prenant le bon chemin, en passant par tous les points de passage et en m’amusant.
Quelle est la chose la plus difficile quand on roule à ce rythme ?
Rester concentré tout le temps. Il faut tellement regarder vers le bas au cours d’une journée que l’on peut tomber facilement parce que l’on ne voit pas un rocher, un buisson ou un arbre, et ça peut se terminer vite. Je pense donc que l’astuce consiste à rester mentalement vif toute la journée.
Il se passe beaucoup de choses sur une étape que les spectateurs ne verront jamais. Quelles sont ces choses invisibles que personne ne connaît, mais qui sont importantes ?
L’une des plus simples s’est produite lors de mon meilleur jour, quand j’ai terminé 3e de la troisième étape. Sur le chemin du retour, en liaison, je suis tombé en panne d’essence. J’ai manqué le point de ravitaillement à l’arrivée de la spéciale, je ne l’ai pas vu et je n’ai pas réfléchi. Ça aurait pu être la fin de ma course, puisque si tu ne finis pas la liaison, tu es hors course. Encore une histoire de concentration… Daniel Sanders et Bradley Cox se sont arrêtés et m’ont donné un peu d’essence en utilisant une vieille bouteille trouvée sur le bord de la route. Je leur suis vraiment reconnaissant pour leur aide à ce moment-là.
Tu es très jeune pour un pilote de rallye. Il est généralement admis qu’il faut une tête bien faite pour ce sport. Fais-tu attention à cela, à ne pas te surmener et à ne pas devenir fou ?
C’est certain. Skyler Howes vient me voir presque tous les jours et c’est vraiment mon mentor. Il m’aide vraiment à garder la tête froide, il est presque comme un père. C’est aussi mon meilleur ami, mais il peut être très sérieux et m’aide à garder le contrôle. Je suis vraiment heureux de l’avoir à mes côtés.
La catégorie Rally2 est compétitive, est-ce ton objectif de gagner cette année
Pour l’instant, le Rally2 est mon objectif, c’est sûr. Je veux gagner ce championnat avant de passer à la catégorie RallyGP, car c’est l’élite. C’est l’objectif final, mais pour l’instant, je veux bien faire en Rally2.
Le Dakar 2023, tu y penses déjà ?
Bien sûr, j’ai hâte d’y être ! Le plan est de revenir avec mon team BAS, parce que c’est une très bonne équipe. Je pense que nous pouvons obtenir un autre bon résultat, peut-être même mieux. Je sais ce que je dois travailler depuis la dernière épreuve. Tout d’abord, il s’agit de participer aux épreuves mondiales de rallye pour acquérir plus d’expérience, mais aussi de travailler sur ma forme physique. Je pensais avoir fait ce qu’il fallait avant le Dakar cette année, mais j’ai quand même ressenti des douleurs au milieu de la course, en particulier dans le dos et les épaules, parce qu’ il faut beaucoup s’accrocher au guidon et encaisser d’énormes distances.
As-tu attiré l’attention des teams d’usine avec tes performances ?
Oui, je pense qu’il y a un certain intérêt de leur part, mais pour le moment, il n’y a rien qui se passe. Je suis plus qu’heureux là où je suis. Rester avec Bart dans l’équipe BAS est parfait. Je suis sûr que si je peux signer avec un team d’usine à l’avenir, ça me permettra de continuer à rouler et de construire une carrière. Mais ce sont de grands objectifs à plus long terme. Pour l’instant, je suis heureux de m’amuser et d’apprendre.
Mason Klein Digest Né en 2001 à Agua Dulce, Californie, Etats-Unis 1,85 m/77 kilos 2020 : 26ème du Sonora Rally 2021 : 5ème du Sonora Rally, vainqueur du Rallye du Maroc en Rally2 2022 : 9ème du Dakar, plus jeune engagé moto et meilleur rookie, vainqueur en Rally2 2022 : Vainqueur de l'Abu Dhabi Rally en Rally2