Niveau dense entre les concurrents, machines aux performances sensiblement équivalentes, imprévus quotidiens du premier au dernier jour : difficile de trouver aujourd’hui une course de moto plus imprévisible que le Dakar. En témoigne le scénario de l’édition 2023, qui s’est jouée pour seulement 43 secondes entre Kevin Benavides et Toby Price au bout de plus de 8 000 kilomètres – environ 4 500 spéciale.
L’Arabie Saoudite accueille à nouveau le volet 2024 du 5 au 19 janvier, et les favoris sont toujours aussi nombreux à se bousculer au portillon. Chez le promoteur, A.S.O., la personne en charge du jeu des prédictions reconnaît à Enduro Magazine s’être longuement creusée la tête pour savoir quelles cotes attribuer à chacun des pilotes. Reste que la bagarre pour la victoire devrait se jouer entre deux familles : celle du groupe Pierer Mobility AG, où figurent les marques KTM, Husqvarna et GasGas, et l’escadron rouge mandaté par Honda pour récupérer la couronne.
Dans la famille Benavides, je voudrais…
Recordman du nombre de succès grâce à une invincibilité maintenue entre 2001 et 2019, KTM s’est adjugé sa 19e victoire sur le Dakar en janvier dernier, signant même un doublé puisque Benavides et Price sont tous deux l’écurie Red Bull. L’Argentin, double-vainqueur de l’épreuve (2021-23), n’est toutefois pas le favori à sa propre succession, la faute à une saison 2023 tronquée par des blessures. La dernière en date, une fracture du péroné, remonte à début décembre, après qu’il se soit fait le fémur en février puis le poignet en août. Il n’a ainsi disputé que deux des cinq manches du championnat du monde de rallye-raid (W2RC). Tout le contraire de Price, devenu vice-champion en octobre. L’Australien a récemment remporté le Rallye du Maroc et visera la passe de trois au Dakar, après avoir gagné en 2016 et 2019. Il n’aura pas sur son chemin son coéquipier Matthias Walkner, lourdement blessé en fin d’année.
Kevin n’est pas le seul Benavides que Price devra vaincre pour faire le hat-trick. Il lui faudra venir à bout du petit frère, Luciano, qui l’a devancé de 9 points dans la course au titre de champion du monde. Le pilote Husqvarna est monté sur le toit du W2RC et veut maintenant ajouter le Dakar à son palmarès. Il a remporté trois étapes en janvier dernier, dans ce qui restera comme un moment clé de sa carrière, un déclic. Il sera le seul représentant officiel de la marque suédoise. Chez GasGas, on compte sur Sam Sunderland pour redorer son blason. Le Britannique a gagné le Dakar en 2022, mais n’a terminé aucune des cinq courses du W2RC 2023. La reconquête pourrait aussi passer par Daniel Sanders, deux fois quatrième (2021, 2023) et vainqueur du Sonora Rally en avril.
Les Rouges en ordre de bataille
Battu lors des deux dernières éditions, le HRC a mis les moyens sur la table pour reprendre le sceptre du Dakar. Une toute nouvelle CRF sera fournie aux six (!) pilotes officiels, parmi lesquels se trouve notamment Adrien van Beveren. Le Français rêve du triomphe mais devra trouver le petit plus – peut-être stratégique – qui lui a fait défaut par le passé. VBA court toujours après son premier podium, lui qui compte déjà trois résultats dans le top-5 en 2017 (4e), 2022 (4e) et 2023 (5e). Depuis son arrivée chez les Rouges, il a remporté l’Andalucía Rally et l’Abu Dhabi Desert Challenge. Les derniers tests réalisés avec Honda au Maroc, en décembre, l’ont mis en confiance. De là à pouvoir enfin saisir sa chance ?
Van Beveren trouvera sur sa route ses propres coéquipiers, essentiellement venus du continent américain. Comme lui, les Chiliens Pablo Quintanilla et « Nacho » Cornejo ont déjà gagné des étapes, mais pas le classement général. C’est en revanche arrivé au Californien Ricky Brabec en 2020, et toujours sur la CRF depuis. Il n’est plus le seul représentant des États-Unis dans l’équipe puisque son compatriote Skyler Howes a rejoint les rangs en septembre. Sa première apparition, au Maroc, s’est terminée sur une chute. Il a depuis eu le temps de prendre la mesure de sa nouvelle monture et essaiera de faire mieux que sa troisième place de janvier 2023.
Le dernier as dans la manche de Honda vient d’Espagne, et il pourrait bien être la carte gagnante. Monté sur la moto japonaise après le dernier Dakar, Tosha Schareina a impressionné en terminant deuxième du Sonora Rally, avant de remporter le Desafío Ruta 40 puis de longtemps jouer la gagne au Maroc. « S’imposer ? On ne sait jamais, mais je sais qu’on a la vitesse pour être devant », annonce-t-il. Il n’a jamais été dans d’aussi bonnes conditions matérielles et cherchera à prendre la relève de ses compatriotes Nani Roma et Marc Coma au palmarès de la course.
Des outsiders en pagaille
Schareina est la nouvelle pépite de la péninsule ibérique, dont les supporters suivront également les aventures de Joan Barreda. Sa quatorzième apparition, « Bang Bang » la fera au guidon de la Hero. Sa trajectoire peut se résumer avec cette improbable statistique : il n’a jamais gagné le Dakar mais est pourtant le troisième meilleur pilote moto de l’histoire en termes de victoires d’étape (29). La marque indienne compte sur lui pour faire des étincelles, mais a aussi renouvelé sa confiance envers Ross Branch. Le Botswanais a remporté deux spéciales en 2023 et, s’il n’a décroché aucun podium en W2RC, s’est constamment battu pour le top-5. Une régularité qui pourrait faire la différence sur un Dakar 2024 annoncé comme le plus dur de la série saoudienne. Son coéquipier portugais Joaquim Rodrigues, régulièrement parmi les dix premiers, essaiera aussi de tirer son épingle du jeu.
Enfin, trois des quelque 140 motards inscrits porteront les couleurs de Sherco, dont deux en catégorie reine RallyGP. La meilleure arme du constructeur français s’appelle Lorenzo Santolino, neuvième l’an dernier et candidat déclaré au top-5. Le Portugais Rui Gonçalves, vice-champion du monde MX2 en 2009, espère aussi que le vent tournera en sa faveur après avoir rencontré un ennui mécanique en 2023. Le bivouac sera attentif aux performances du jeune Mason Klein, vainqueur de la Coupe du monde Rally2 2022 et d’une étape l’an dernier. L’Américain sera sur une Kove, et ses performances pourraient être révélatrices du potentiel de la moto. Si la victoire finale n’est pas à la portée du constructeur chinois, l’imprévisibilité du rallye-raid ouvre la porte à des coups d’éclat qui ne manqueraient pas de faire la une du côté de l’empire du Milieu.