Le 14 mars 2022, le monde de l’enduro célébrait le 30ème anniversaire de la mythique course Gilles Lalay Classic. Alain Lecorre, le deuxième protagoniste de la création de cette course historique, nous raconte cette aventure…
Gilles Lalay et toi, c’est quoi votre histoire ?
Avec Gilles Lalay, nos parents sont arrivés en région parisienne à la même période, à Carrières-sous-Poissy (78). Lui en 6e et moi en 5e, j’avais un an d’avance. On est de la même année, lui était de mars, moi de janvier. On s’est rencontrés la première fois vers 10 ou 11 ans, dans le bac à sable de la cité où tu cherches des potes à cet âge. Il habitait le bâtiment d’à côté. On a commencé à faire du vélo tout-terrain ensemble dans la forêt de Saint-Germain. Après, il y a eu les mobs, l’époque 103. Tous les mecs mettaient les guidons parallèles, nous on les écartait façon motocross. On a commencé à faire du tout-terrain comme ça. A l’adolescence, c’était un peu compliqué chez moi alors j’allais souvent chez les Lalay. J’étais un peu le deuxième fils, lui un peu mon frangin. Complètement même. De cette époque, on a tout fait ensemble. On ne s’est jamais lâchés.
L’enduro, ça vient comment ?
Pour ses 14 ans, il a eu un 50 Fantic et on s’est plongés dans l’enduro. Dès qu’il a eu le Caballero, il a voulu faire une course. Je m’en rappelle, on était partis à quatre avec le J7 de son père qui conduisait. Il avait fait tout le voyage derrière, allongé sur le plancher, nous sur le bastaing qui servait de banquette. Après, ça va très vite. Il gagne au scratch dès sa première course critérium en 125. Il est champion Junior en 79, passe officiel SWM et décroche le titre 125 national en 80. En 81, il est champion 125. On est sur toutes les courses. En 1982, je rentre à Moto Revue, par hasard, comme coursier. Au tout-terrain à l’époque, il y a trois personnes: Xavier Audouard, Patrick Boulland et Loulou Bernardelli, mais personne vraiment à l’enduro. Audouard avait été inter en enduro, mais il était plutôt branché motocross et supercross.
A cette époque, je connaissais tout de l’enduro, vraiment tout. Et quand Loulou est parti à TF1, il a fallu le remplacer. J’ai postulé et Patrick Casanovas, le boss de MR, m’a donné ma chance. C’est aussi ce qui a fait que l’on est restés proches avec Gilles Lalay. Nos boulots étaient liés, on se croisait tout le temps et en plus, on continuait à faire de la moto ensemble.
« Gilles Lalay commençait à en avoir un peu marre de cet enduro qui devenait trop facile et perdait de son âme. »
L’idée d’une course extrême, le concept, le nom, ça vient quand et comment ?
La Dead Line, ça sort d’un retour de comparatif 250 que j’avais organisé à Beaune, chez “Le Gros” (Marcel Seurat, importateur Husquavrna) en octobre 1990. Gilles, adepte des courses dures, commençait à en avoir marre de la tournure que prenait l’enduro. Le Trèfle en était à sa troisième ou quatrième année, la tendance était aux liaisons faciles et il trouvait que sa discipline perdait un peu de son âme. Pendant tout le trajet de Beaune à Paris, on s’est mis à imaginer une course qui allait justement à l’encontre de ça. Une course extrême, hyper dure, où ne sortirait qu’une poignée de pilotes. Côté terrain il savait déjà où faire passer la course. En revanche, la complexité de l’enduro est venue assez vite dans la discussion. Moi, je lui disais que l’enduro était trop compliqué à expliquer à quelqu’un qui n’y connaissait rien. On n’était pas trop d’accord sur ce point.
Moi, j’insistais sur le fait que si on voulait que cette course sorte de l’ordinaire et passe la barrière de la presse spécialisée, il fallait que cela soit simple. Je savais que la télé ne se déplacerait jamais pour un enduro, elle ne l’avait jamais fait. On avait Lalay, Morales, Peterhansel, Esquirol, mais les responsables TV s’en foutaient, la discipline était trop compliquée. On a fini par tomber d’accord sur un enduro “classique” de sélection le matin et une sorte de course en ligne l’après-midi, réservée aux 100 premiers du matin. Le premier qui arrive a gagné. Bon, il allait aussi falloir créer un programme informatique capable de sortir les résultats en moins de trois heures, ce qui était surréaliste à l’époque. C’est Phiphi Gast, le petit frère de Catherine Lalay, qui nous l’a inventé, le programme. Et ça a marché. Bref, les pilotes allaient en chier, traverser des difficultés vraiment incroyables et arriver de nuit, mais Gilles Lalay voulait aussi qu’il y ait de très grosses primes d’arrivée à la Dead Line. Il avait mis 50 000 francs pour le vainqueur! C’était plus que ce que gagnait le vainqueur du Paris-Dakar à l’époque! Pendant toute l’année 1991, on a cherché à boucler le budget, en vain. Quant au nom : Dead Line, “dernière limite”, cela nous est apparu comme une évidence.
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Le concept a rapidement séduit le milieu ?
Le fait qu’il y ait un départ en ligne, des primes, c’était compliqué de faire passer ça au niveau de la Fédé. Ils nous ont pris pour des grands malades quand on leur a dit qu’on allait les faire partir en ligne. Ils pensaient «Trop vite, trop dangereux…». Gilles Lalay leur disait qu’il connaissait son terrain par cœur, que les pilotes seraient à 30 km/h maximum, qu’il n’y aurait pas de vitesse, juste de la sueur et du mental. Durant toute l’année 1991, la Fédé a refusé et n’a fini par lâcher qu’en fin d’année, en rencontrant Gilles une énième fois. Les sponsors n’y croyaient pas trop non plus. Ils trouvaient l’idée “intéressante”, mais le budget les bloquait un peu. La première année, de mémoire, quand Gilles Lalay était encore là, je crois qu’il y avait Acerbis, Oxbow et Toshiba avec qui il était en contact avancé.
On se confrontait malgré tout à une histoire d’image et de reconnaissance visuelle. Si on faisait passer les pilotes dans des bourbiers insondables, on ne verrait plus les sponsors. On les a fait partir avec des dossards, ça aussi c’était nouveau. Mais comme personne n’imaginait ce que cela allait devenir, les sponsors n’ont pas sauté sur le truc. Je pense que pour la première, si Gilles avait été encore là, on l’aurait faite vraiment limite côté budget. Les pilotes, eux, étaient plutôt partants. Surtout quand on leur a dit qu’il y avait 50 000 balles au vainqueur.
D’où est venue l’idée d’une course de nuit ?
On faisait des rallyes voiture avec Gilles Lalay. Les souvenirs des rallyes du Var ou des Cévennes la nuit où tu as du monde partout dans les spéciales, une ambiance incroyable où les gens allumaient des feux, on s’était dit que ce serait bien d’amener ça aussi à la course. Le départ en ligne, l’arrivée de nuit, les difficultés, les primes et en plus, Gilles voulait que les participants puissent partir en pneus cross. Il y avait peut-être trop de nouveautés tout de suite. Mais finalement, je suis assez fier de ça car on avait vu assez juste. Je crois sincèrement que l’idée selon laquelle où que tu te trouves sur le parcours, le premier mec que tu vois passer est celui qui est en tête a bien marché. Pour les spectateurs, pour les médias, pour tout le monde. Un peu comme le Tour de France en fait.
L’affiche de la Dead Line, elle existe quelque part ?
Il n’y a pas eu d’affiche pour la Dead Line. On avait réalisé un dossier de presse et une séance photos pour la couverture de ce dossier. On a finalement pris une image de cette séance pour l’affiche de la première Gilles Lalay Classic. Petite anecdote sur cette séance photo. Cela s’est fait dans la carrière de L’Hautil où l’on allait régulièrement faire de la moto, dans l’Ouest parisien, juste derrière chez nous. Gilles était habillé pour l’une des premières fois en Oxbow et sautait en descente. Il ne faisait pas très beau, on l’avait réalisée la veille de son départ au Dakar 91… C’est très bizarre, parce qu’une fois que je lui ai dit que je pensais avoir l’image dans la boîte – on était en argentique encore – on s’est dit au revoir et je l’ai regardé s’éloigner sur le chemin. Et avant de disparaître dans la forêt, il a levé la main sans se retourner. Alors qu’il n’avait jamais fait ça. Jamais. Il me disait au revoir… C’est la dernière image que j’ai de lui. Je ne crois pas aux signes, mais c’est le dernier qu’il m’ait fait.
« Il y avait une énorme prime d’arrivée à la Dead Line, plus que pour le vainqueur du Paris-Dakar »
Le nom de Gilles Lalay Classic, la première édition, cela se déroule comment ?
Quand Gilles Lalay a eu son accident, la première chose que m’a dite Catherine (son épouse), c’est: il faut faire la course. On était à deux mois du truc. On en a discuté un peu avec Catherine. On voulait qu’il y ait son nom, bien sûr, et “Classic”, parce que l’on voulait que cela en devienne une. Sur place, tous les mecs de Peyrat ont vraiment bossé comme des malades pour finaliser les parcours. On a trouvé trois tunes et c’est parti. Tout le monde a voulu saluer la mémoire de Gilles Lalay et cela a été plus facile de fédérer. Auriol (vainqueur du Dakar en auto) est même descendu avec son hélico pour donner le départ. Ce fut un gros succès. Je n’avais vu autant de public sur une course “d’enduro” (on a parlé de plus de 50 000 spectateurs) et l’arrivée de nuit était magique. Grandiose ! Tout le monde est reparti avec des étoiles dans les yeux.
« On faisait des rallyes voiture avec Gilles et la nuit, tu as du monde partout ! On s’était dit que ce serait bien d’amener ça aussi à la course »
Tu as déjà raconté cela ?
Non, j’ai toujours été très discret par rapport à la Gilles Lalay Classic. Travaillant aux Editions Larivière qui avaient un service organisation, c’était délicat. Mais évidemment, j’ai participé à toutes les éditions à fond la caisse aux côtés de Catherine. Mais la GLC est vite devenue un monstre d’organisation. 700 bénévoles, autant de propriétaires de terrains à contacter pour les autorisations, etc. Sans parler des pilotes qui allaient de plus en plus vite et des assistances qui commençaient à rouler très (trop) vite sur les petites routes… Une ou deux fois, les discussions se sont un peu tendues avec les gars du MC Peyratois qui faisaient un boulot extraordinaire, mais leurs secteurs devenaient de plus en plus durs. Ce qui était logique car les pilotes étaient de mieux en mieux préparés. Mais je voyais aussi le coup qu’un jour, il n’allait plus y avoir personne à l’arrivée. Ils ont été quatre une année. Il n’y avait pas que le côté sportif à gérer. Les traceurs faisaient un boulot de dingues mais ne se rendaient pas forcément compte que s’il n’y avait plus personne au Corbeau Mort, c’était très risqué car il n’y aurait plus rien eu à raconter. Pas de vainqueur, pas d’histoire, pas de télé, pas de retombées. Il ne fallait pas dégoûter les pilotes, ni les spectateurs. Mais tout le monde a compris le message je crois.
L’arrêt de la Gilles Lalay en 2021 était inévitable ?
Cela s’est arrêté en partie parce qu’il y avait trop de monde sur la route, mais aussi parce qu’il fallait presque une année pour organiser une édition. 50 000 personnes sur les routes du Limousin, c’est compliqué. Et comme les temps étaient de plus en plus serrés, que les gars roulaient de plus en plus vite, qu’il y avait des bouchons, cela devenait risqué. Très risqué. S’il était arrivé quelque chose, c’était le directeur de course qui était directement impacté. On ne voulait pas de ça non plus, pas d’accident. La renommée de la course l’a finalement peut-être un peu bloquée. Et puis, malgré le succès, c’était difficile chaque année d’obtenir les autorisations nécessaires au tracé. Mais encore une fois, le boulot qui a été réalisé sur place par les traceurs et les bénévoles, pour un petit club, ce fut énorme. Gigantesque même.
Trente ans après, à refaire, tu changerais quelque chose ?
Non, je trouve que c’était pas mal, on n’était pas loin du bon concept. Tout ce que j’ai vu après sur le même principe me fait dire que l’on avait vu juste avec le Grand pendant ce voyage Beaune/Paris en octobre 1990. Je suis assez fier de ça.
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